Prélude / l´homme à la culotte rouge ( par Annie Degroote)

Publié le par L´homme à la culotte rouge / Polar historique

 

Le Prélude / l´homme à la culotte rouge - Pays de Lorraine - 1635. 
par Annie Degroote ( 21.10.2011)


chausseculrougeLe silence crépusculaire précéda son arrivée, en l'an 1635. Un silence qui suivait tant de désastres...

On fuyait le village, le pays de Lorraine, on n'y entrait plus que pour le dévaliser, piller ce qui restait encore à piller, pour agresser, torturer. La plupart des villageois s'étaient réfugiés dans les bois des alentours. Quelques uns résistaient, qui préféraient leurs petits trésors à leur vie. Le monde semblait réduit à un nombre ridicule de survivants, qui vivotait dans le dénuement, et redoublait de vigilance.

La peur avait gagné tous les esprits.

L'homme ne faisait pas de bruit. L'astre lunaire jouait avec les nuages de la nuit, et lui, jouait avec la lune, se cachait par intermittence dans la pénombre. Pour se rendre invisible.

Un seul le vit. Un enfant. Il aperçut, au clair de lune, la culotte rouge.

 Il se tassa dans les broussailles. Son cœur battait à tout rompre. Il se mordit la langue pour se forcer à réfléchir. L’étrangeté du petit venait de son visage, et de son comportement. Ses yeux trop écartés et trop injectés de sang l’isolaient des autres. Il parlait peu, mais lorsqu’il prenait peur, son corps devenait comme un pantin désarticulé. Certains l’accusaient bien d’avoir un caillou dans la tête, et arguaient qu’on devrait le délivrer de sa folie en lui ouvrant le cerveau. Il était peut-être idiot, petit, mais il savait reconnaître le moindre souffle de vent familier ou hostile, les bruits étranges ou étrangers. Il percevait des détails ignorés des autres, comme une goutte de sang perlant sur un doigt, une larme luttant pour ne pas être exposée à la vue de tous.

L'homme ne portait pas de chapeau à plumes. Une cape lui recouvrait les épaules et ses chausses étaient usées, mais il n'était pas de ces pouilleux à la mine patibulaire et affamée… Soudain, l'enfant sentit qu'on le reniflait. Un petit chien était à ses pieds. Un chien ! Ne savait-il pas que les gens meurent de faim ici ? L'inconnu osait nourrir un chien ! Après les dernières attaques, le village allait renaitre une fois encore de ses cendres... Et voilà que lui, l'homme à la culotte rouge apparaissait.

L'enfant pensa à sa mère. Combien de fois avait-il détourné l'attention des soldats ou des pillards, afin qu'ils oublient leur masure ! Il devait bien ça à sa mère, lui l'enfant mal né.

Cet inconnu ne lui semblait pas si étranger. L'avait-il vu en compagnie du tricheur? Celui-là, il l'avait surpris qui retirait furtivement une carte glissée dans sa ceinture, un as de carreau...Il jouait jadis avec sa mère et d'autres courtisanes. L'enfant en gardait une seule image composée d'une profusion de couleurs, de perles, de fumée, de bruit. Sa mère avait renoncé aux plaisirs de la chair et vivait en recluse, dans la pénombre, pour se faire pardonner ses débauches, et peut-être la naissance de cet enfant difforme… Sous la lumière diaphane de la chandelle, qui éclairait leur logis, il la trouvait si belle. Mais la contemplation ne nourrit pas son homme, et lui, pourvoyait à leurs besoins, en faisant la cueillette, en récoltant des fruits tombés, en mendiant. Il avait à cœur de rallumer la flamme de leur chandelle, la lueur dans les yeux de sa mère pénitente. Alors, il courait, il guettait pour l'avertir des dangers, et la cacher.

La longue silhouette de l'homme se figea en le découvrant. Ils restèrent muets, l'un en face de l'autre. Etait-ce un ennemi ? Un colporteur ? Il n'avait pas de hotte, ni de ces objets alliant l’utile à l’insolite, suscitant le rêve et le besoin. L'enfant aimait bien suivre les colporteurs, ni mendiants ni vauriens, mais un peu sorciers avec leurs remèdes-miracles. Pauvres, mais savants à force de s'être cognés aux baladins, pèlerins, marchands, compagnons, et même fuyards.

 S'il s'agissait d'un déserteur ou d'un voleur, il devait avertir le village. Mais il n'était pas si bête, il savait que son arrivée avec un chien serait considérée comme un affront vis à vis du peuple. La rumeur le condamnerait aussitôt.

L'étranger venait sans doute de la ville. Etait-il porteur de bonne ou de mauvaise nouvelle ? Un misérable fuyard chassé par la peur ou jeté de son pays? L'enfant ne comprenait rien à la guerre et aux querelles des gens. Il ne savait plus à quel saint ni quelle religion se vouer. Les ennemis pleuvaient de partout. Tout était châtiment du Ciel. Défigurés par la peur, les esprits s'échauffaient vite et la délation était un devoir. Il risquait de précipiter ce malheureux dans la gueule du loup. Il devait avoir une sacrée bonne raison pour oser s'aventurer par ici, songea le petit.

Le visage de l'homme était encadré d'une barbe grisonnante. Son front, haut. Il était de ceux qui ont beaucoup souffert. Un souffle de vent ouvrit sa cape. L'enfant recula. Une vielle pendait à ses côtés. Un musicien.

Son autre main était refermée sur un objet. Une relique, une miniature, un couteau?

Soudain, l'expression de l'homme vira au désespoir. L'enfant comprit, sans y mettre de mots, que sa venue était le signe avant coureur de bouleversements.

Il ouvrit une large bouche.

- Je cherche … un musicien… Avec une grosse verrue sur la joue. Il a … Il reprit son souffle, il a quelque chose qui m'appartient.

L'enfant se souvenait de l'homme. Après une rixe qui avait failli tourner au carnage, il s'était terré dans une masure abandonnée.

Mais que pouvait lui vouloir ce vielleur au chien ?

Pourquoi semblait-il jouer sa vie ?


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N
<br /> Le mystère reste intact . Qui comme moi , aime les belles histoires , vivement la suite !<br /> <br /> <br />
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